Si quelques Chinois sont déjà présents sur l'île Bourbon dès le XVIIIe siècle, il faut attendre le milieu du XIXe siècle et les besoins en main d'œuvre de l'industrie sucrière pour voir apparaître une vraie immigration organisée. C'est au moment où l'introduction des travailleurs indiens est à son plus bas niveau que l'on pense à faire appel aux Chinois. Il faut dire qu'à cette période un certain nombre de provinces chinoises, comme celle de Fujian et de Guangdong, confrontées à des problèmes socio-économiques vont devenir grandes pourvoyeuses de l'émigration vers l'Asie du sud-est, le Pacifique, puis l'océan Indien.
Les premiers contingents d'engagés arrivent en 1844. Si certains sont destinés aux travaux des champs de canne à sucre ou à l'élevage des vers à soie, d'autres seront employés au service du gouvernement pour des travaux publics. Mais rapidement les propriétaires se plaignent car ils ont affaire à des hommes qui se défendent quand ils estiment qu'on les traite comme des esclaves… Une histoire sur les engagés à découvrir aux Lazarets de La Grande Chaloupe
Un arrêt du recrutement va donc être décidé dès 1846 et certains Chinois seront renvoyés chez eux. Ceux qui restent vont se lancer dans le colportage et le commerce de produits alimentaires, ouvrent parfois de petites "cantines" à proximité des usines. On date ainsi l'ouverture de la première boutique chinoise à 1858, sur le secteur de La Possession.
Début de l'immigration libre Deuxième étape de l'installation de la communauté chinoise, l'immigration libre est autorisée à partir de 1862, mais elle reste assez limitée. Après l'arrêt définitif de l'immigration indienne en 1885, on se tourne plus nettement vers l'Indochine avec le recrutement d'Annamites, puis à nouveau vers la Chine au tout début du XXe siècle. On voit ainsi arriver en octobre 1901 un convoi de plus de 800 engagés agricoles venus de Fuzhou.
Mais l'histoire bafouille et des révoltes éclatent à Saint-Louis puis dans l'Est, entraînant en 1907 le retour d'un grand nombre de Chinois dans leur pays. Parallèlement à l'échec de l'engagement agricole, on voit pourtant se mettre en place à une petite échelle des communautés stables originaires de la Province de Guangdong, d'une part des Cantonnais et des Hakkas. On trouve parmi eux quelques artisans mais la plupart se lancent dans le petit commerce.
A cette époque, par manque de femmes de leur origine, les Chinois contractent souvent des unions avec des Créoles. Cela durera jusqu'à l'entre-deux guerre, période à laquelle l'arrivée de nombreuses Chinoises va freiner ce mouvement de métissage et d'intégration. La communauté devait dépasser les 4 000 personnes dans les années 1940 en ajoutant les métis et les gens naturalisés.
Quant à leur répartition géographique, on trouve dès la fin du XIXe siècle une concentration de Chinois sur Saint-Denis. Le premier autel d'un temple est édifié en 1878 rue du Grand Chemin face au marché, avant d'être déménagé en 1897 rue Saint-Anne qui devient le quartier chinois par excellence. Saint-Paul fut pendant longtemps le deuxième lieu d'implantation des Chinois avant de céder la place à Saint-Pierre vers le début du XXe siècle, qui voit arriver en particulier des Hakkas du district de Meixian.
En moins d'un siècle, les Chinois s'insèrent dans le réseau commercial par les fameuses "boutique chinois" qui se répandent jusque dans les Hauts. Avec le développement économique qui accompagne la 1ère guerre mondiale, le nombre de commerçants chinois augmente et progressivement ils accèdent au réseau d'importation et deviennent grossistes.
Cet accroissement entraîne une augmentation dans le recrutement de la main-d'œuvre, en particulier celle des commis, venus souvent de la même région, du même clan que leur employeur, ce qui confortera le clivage Hakkas-Cantonnais, les premiers se concentrant dans le sud, les autres dans le nord de l'île. Pourtant à côté de leur rôle primordial dans le commerce, les Chinois percent aussi dans l'industrie. Ainsi ils prennent dès le début du XXe siècle le contrôle des manufactures de tabac produisant cigarettes et allumettes, tandis que d'autres se lancent dans l'agroalimentaire. Il ne faut pas négliger non plus l'impact de l'organisation familiale dans laquelle les femmes prennent toute leur place ainsi que celui des associations dont l'aide facilite l'intégration des nouveaux arrivants.
Entre les deux guerres, avec l'arrivée en masse des femmes, on va assister à la multiplication des écoles franco-chinoises dont l'âge d'or se situe entre 1942 et 45. Ensuite la christianisation, sensible surtout après la 2e guerre mondiale va relancer les unions mixtes et sera un nouveau facteur d'intégration. Autre élément déterminant, en 1946 la départementalisation restreint fortement le flux migratoire jusqu'à l'interdiction formelle d'entrée en 1950, et favorise en parallèle une politique d'assimilation, avec de nombreuses naturalisations. Ce statut de département va aussi bouleverser l'organisation économique, avec une baisse d'influence des grandes familles liées aux plantations et un renforcement du secteur tertiaire. Les Chinois sauront profiter de ces mutations et prendront notamment leur place dans la naissance des grandes surfaces.
Suivant ce mouvement de modernisation, de nombreuses boutiques se transforment en supérettes ou libre-service, et l'on assiste parallèlement à un regroupement sous l'égide de grandes sociétés d'achat, ou en coopératives de petits commerçants. Face à une certaine saturation du commerce alimentaire et le déclin du commerce de détail, on voit aussi l'activité des Chinois se diversifier dans les années 70, notamment dans les restaurants, les hôtels de moyenne gamme, mais aussi l'électroménager, l'automobile ou encore l'imprimerie.
Avec l'accélération économique des dernières décennies, si l'entreprise familiale reste la référence, on voit des alliances élargies réunissant Hakkas et Cantonnais et même des groupements financiers inter-ethniques, réunissant Chinois et Malbars ou Créoles. Parallèlement à cette "créolisation" par le brassage des intérêts économiques, on voit aussi l'entrée des Chinois dans la vie publique.
Aujourd'hui la communauté chinoise, forte de plus de 20 000 personnes paraît donc bien intégrée. La nouvelle génération se considère avant tout Française ou Réunionnaise d'origine chinoise, avant de se dire Hakka ou Cantonnais et parallèlement on en voit un certain nombre retourner à la recherche de leurs racines à travers des activités culturelles diverses, calligraphie, danses, arts martiaux... L'intégration dans la société réunionnaise n'implique donc pas une coupure d'avec son pays d'origine, même si le lien paraît un peu moins fort pour les jeunes générations.